Face au changement climatique et à la dégradation de l’environnement, la viticulture moderne est aux prises avec de nombreuses menaces : réduction de la fertilité des sols, augmentation du stress thermique, pénurie d’eau, événements climatiques extrêmes, augmentation de la pression des ravageurs et des maladies. L’agroforesterie est un système d’utilisation durable des terres qui a fait ses preuves pour résoudre nombre de ces problèmes de conservation et de production. Appliquée à la viticulture, elle pourrait créer des agrosystèmes plus résilients, améliorer certains paramètres de qualité et de production du raisin et augmenter les revenus des viticulteurs tout en agissant positivement sur l’environnement de nombreuses façons.

Focus sur la vitiforesterie avec les experts Mutualia.

Agroforesterie et vitiforesterie : définitions

L’agroforesterie

L’agroforesterie désigne l’association d’arbres et de cultures ou d’animaux sur une même parcelle agricole. C’est une pratique ancestrale, répandue dans le monde entier et en sommeil en Occident du fait de l’essor du machinisme agricole et des produits phytosanitaires qui a conduit à une culture intensive nécessitant l’abattage systématique des arbres.

Depuis quelques décennies seulement, l’agroforesterie revient sur le devant de la scène de l’agriculture occidentale et est désormais reconnue comme une solution de premier ordre pour contrer les effets du changement climatique. Cette pratique concerne les grandes cultures, l’élevage (sylvopastoralisme) et les cultures pérennes comme la vigne et l’arboriculture.

La vitiforesterie

La vitiforesterie est l’agroforesterie appliquée à la viticulture et donc l’association de la plantation d’arbres à la culture de la vigne. Un système agroforestier viticole pourrait offrir divers avantages, notamment à travers des services écosystémiques tels que l’amélioration de la biodiversité y compris des sols, l’atténuation des excès climatiques, le stockage du carbone, la récupération de biomasse supplémentaire ou encore la production de bois.

Il existe différents types d’aménagements :

  • rangées d’arbres intercalées entre rangs de vigne,
  • haie arbustive bordant une parcelle ou intercalée entre îlots de vigne,
  • arbres isolés plantés dans un rang de vigne…

Différentes espèces d’arbres ou d’arbustes et différentes distances entre les rangées d’arbres et les rangées de vignes peuvent être sélectionnées en fonction de l’objectif du viticulteur. Pour en savoir plus sur l’aménagement d’une parcelle de vigne en agroforesterie, rendez-vous sur le site l’Institut Français de la Vigne et du Vin.

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Un exemple de vitiforesterie pour mieux comprendre : le Domaine de Restinclières

Le programme

Dans le Sud de la France, la maturation des raisins arrive désormais deux à trois semaines plus tôt qu’il y a 50 ans. Certains vignerons se sont adaptés en empêchant leurs raisins de mûrir trop tôt, en plantant simplement des arbres.

C’est le cas de la ferme expérimentale de Restinclières, dans l’Hérault, aux portes de Montpellier. Pionnier de la vitiforesterie depuis le début des années 1990, le Domaine de Restinclières mène des expérimentations d’agroforesterie sur ses parcelles, en relation étroite avec l’Institut National de Recherche pour l’Agriculture, l’Alimentation et l’Environnement (INRAE).

Ici, les vignes de Grenache et de Syrah sont plantées en alternance avec des rangées d’arbres disposées à des distances précises. Ce système agroforestier viticole est minutieusement étudié pour comprendre si la maturation peut être retardée par les effets d’ombrage, de brise-vent et d’évapotranspiration des arbres, une fois que ces derniers ont atteint une hauteur suffisante.

Les observations

Plusieurs espèces d’arbres ont été plantés afin d’observer leurs effets sur les vignes : des pins (Pinus pinea et Pinus brutia), des cyprès (Cupressocyparis leylandii et Cupressus sempervirens), des poiriers (Pyrus communis) et des cormiers (Sorbus domestica). Certainement à cause des substances chimiques produites par l’arbre lui-même, il a été démontré que le Pinus brutia endommageait les vignes, tandis que les autres se sont avérés bénéfiques, notamment en fournissant un habitat aux insectes qui se nourrissent de certains parasites qui ravagent les vignes.

Par ailleurs, alors que la région a subi une forte canicule avec des chaleurs atteignant jusqu’à 46 °C à l’ombre et que la plupart des feuilles et des raisins ont été brûlés dans la plupart des vignobles, les vignes du Domaine de Restinclières ont été épargnées, probablement en raison de la présence d’arbres. Christian Dupraz, fondateur et coordinateur du programme de recherche au domaine a précisé que « la récolte 2019 a été très bonne et de grande qualité ». Il semblerait également que la présence d’arbres ait eu un impact également considérable quelques années plus tôt en préservant les vignes contre un phénomène de gel tardif.

Au-delà de la protection contre les événements climatiques extrêmes tels que la sécheresse, les canicules et le gel tardif, le programme de recherche a également démontré de nombreux autres bénéfices de l’introduction d’arbres dans les vignes ou leurs abords :

  • création d’un microclimat permettant des saisons plus longues qui entraînent des nuits plus fraîches en septembre, ce qui évite la maturation d’août que connaissent la plupart des vignerons de la région, offrant un vin de meilleure qualité ;
  • niveaux d’acidité et de tanin plus élevés dans les raisins ;
  • moindre incidence du mildiou dans les vignes en rangées ;
  • lorsqu’ils sont combinés, arbres et cultures peuvent produire jusqu’à 50% de biomasse supplémentaire ;
  • réduction de la pollution de la nappe phréatique grâce aux arbres qui piègent les nitrates.

Et à la grande croyance commune de l’effet réducteur de l’ombre sur les vignes, il a été démontré que l’ombrage des arbres n’entraîne qu’une très faible baisse du rendement des vignes, voire quasi nulle.

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Avantages et inconvénients de la vitiforesterie

Changer de méthode de production devient une urgence face au changement climatique. En effet, une étude récente a révélé que la moitié des régions viticoles actuelles pourraient disparaître avec un réchauffement climatique de 2 °C, et jusqu’à 85% avec un réchauffement de 4 °C.

La vitiforesterie pourrait être une solution durable face aux difficultés agricoles dûes au changement climatique. Toutefois, il convient d’en mesurer ses avantages et ses inconvénients.

Nous ignorons encore beaucoup de choses sur les systèmes agroforestiers viticoles. La science commence à peine à se faire une bonne idée des interactions compétitives et synergiques qui se produisent dans ces systèmes. Mais de nombreuses études ont été conduites, notamment celles de l’INRAE, et voici ce que nous savons :   

Les désavantages

  • Les systèmes agroforestiers viticoles sont intrinsèquement plus intensifs à gérer que les monocultures.
  • La gestion de deux cultures au sein d'un même système nécessite une expertise dans deux domaines et un équipement pour deux cultures.
  • L'incorporation d'arbres dans les vignobles entraîne une réduction du rendement des vignes à moins de 4 mètres des haies d'arbres.
  • Les vignes et les arbres ne semblent pas entrer en compétition significative pour les nutriments ou l'eau, mais peuvent entrer en compétition pour la lumière.
  • Les arbres en général consomment beaucoup d'eau, et il faut veiller à sélectionner des espèces tolérantes à la sécheresse et à les espacer à des distances appropriées pour réduire la consommation d'eau.
  • La présence d'arbres peut augmenter la prédation des oiseaux dans les vignes. Une infrastructure appropriée doit donc être en place pour faire face aux dommages causés par les oiseaux.

Les avantages 

  • Les systèmes agroforestiers viticoles augmentent considérablement le nombre d’insectes bénéfiques dans les vignobles et il a été démontré qu'ils réduisent considérablement la dépendance des agriculteurs aux pesticides chimiques.
  • Les arbres dans les vignobles créent une « bulle microclimatique » dont il a été démontré qu'elle protège les vignes à la fois du gel et de la chaleur extrême.
  • Les arbres améliorent la capacité de rétention d'eau du sol, ce qui peut conduire à un sol résistant à la sécheresse à long terme.
  • Les arbres améliorent la fertilité du sol et préviennent les pertes dues à l'érosion.
  • Il a été démontré que les systèmes agroforestiers viticoles améliorent certains indicateurs de qualité du vin tels que le prix, la densité et l'acidité totale.
  • Les arbres plantés en haies vives ou en allées dans les vignobles protègent les vignes du vent et réduisent considérablement l'érosion éolienne.
  • Les systèmes agroforestiers viticoles offrent de nombreux avantages écosystémiques tels qu'un habitat accru pour la biodiversité, la séquestration du dioxyde de carbone et l'amélioration de la santé des bassins versants.
  • Malgré les réductions de rendement à moins de 4 mètres des arbres, il est possible que le revenu de l'ensemble de l'exploitation soit augmenté lorsque la bonne combinaison vigne-arbre est sélectionnée, et les arbres peuvent empêcher suffisamment de pertes de rendement pour que la réduction soit compensée.

Pour conclure sur la vitiforesterie

Le changement climatique se dirige vers nous plus rapidement que notre compréhension des systèmes agroforestiers viticoles. Nous ignorons encore beaucoup de choses sur ces systèmes, mais nous en savons suffisamment pour affirmer que la vitiforesterie pourrait valoir la peine d'être essayée, en particulier dans les régions de culture arides qui sont touchées par un stress thermique important, comme le sud de la France.

L'agroforesterie n'est pas une solution miracle, et elle ne va pas sans compromis. Comme tous les systèmes agroforestiers, les systèmes agroforestiers viticoles nécessitent des stratégies de planification et de gestion afin de maximiser les réactions synergiques entre les arbres et la vigne et de minimiser les réactions compétitives. Mais, lorsque ces interactions sont bien gérées, la plantation d'arbres dans les vignobles pourrait aider ces derniers à devenir plus résistants au climat.