L'heure n'est aujourd'hui plus à la polémique : le changement climatique est bel et bien une réalité. Directement confrontée à ce phénomène, l'agriculture doit rapidement se poser les bonnes questions et trouver les moyens de s'adapter. Heureusement, des solutions existent. Jean-François Soussana était présent lors des Controverses de l'agriculture et de l'alimentation 2020 organisées par Réussir Agra. Le scientifique de l'INRA a abordé la thématique agriculture et changement climatique en précisant des voies à explorer pour l'avenir.
Le changement climatique, c'est maintenant !
Des éléments qui se déchaînent. Les Etats-Unis et le Japon balayés par des cyclones. L'Australie en feu. L'Asie submergée par les eaux. Un thermomètre atteignant des sommets en France (45,9° à Gallargues-Le-Montueux le 28 juin, record national battu). Les derniers mois ont rappelé à ceux qui en doutaient encore la réalité du dérèglement climatique. Rapidement, notre monde va donc devoir intégrer cette nouvelle donne. En 2050, le traditionnel bulletin météo pourrait ainsi livrer des prévisions avec des températures oscillant autour des 40° c aux quatre coins de l'Hexagone.
Si rien ne bouge, les conséquences du changement climatique sur l'agriculture seraient, au bas mot, dramatiques. D'ailleurs, Le secteur a déjà été confronté à une situation extrême en 2003, année marquée par l'été le plus chaud depuis le 16e siècle – au moins ! Le bilan de cette sécheresse estivale en France ? :
- 30% sur les cultures d'été (maïs, etc.)
- 21% sur les cultures d'hiver (blé, etc.)
- 25% sur la production des arbres fruitiers
- 30% sur les fourrages
Encore plus proche de nous, l'année 2016 a aussi présenté des caractéristiques extrêmes. L'hiver chaud, les fortes précipitations et l'été très sec préfigurent la norme de demain. En France, la production de céréales a tout particulièrement été affectée.
Ces épisodes sonnent comme un signal d'alarme. La prise de conscience semble largement effective et l'agriculture va devoir poursuivre les efforts déjà entamés, guidée par un mot d'ordre : adaptation.
Agriculture et changement climatique : de la nécessité de s'adapter
Comment les agriculteurs peuvent-ils relever le défi du changement climatique ? Les premiers éléments de réponse se situent au sein même de leur ferme. Amélioration des techniques de culture et d'élevage, optimisation des systèmes fourragers, modification des calendriers de culture, recours aux nouvelles technologies, etc. : de nombreux leviers existent déjà... et sont activés !
Lancée en 2011, la Commission nationale de certification environnementale (CNCE) offre un cadre pour les exploitations qui engagent des démarches particulièrement respectueuses de l'environnement. Les agriculteurs français ont répondu favorablement à ce dispositif. La preuve ? En 2019, le nombre d'exploitations engagées au niveau 3 – et maximal – HVE (Haute valeur environnementale) a augmenté de 46% ! Ces efforts se traduisent également par une image de l'agriculteur qui s'améliore sensiblement auprès de la population.
Face aux défis posés par le changement climatique, en particulier l'augmentation des épisodes de sécheresse, il est essentiel pour les agriculteurs de mettre en place des stratégies d'adaptation. Pour en savoir plus, consultez cet article sur l'adaptation aux effets de la sécheresse sur l'agriculture.
Au cœur de la ferme, l'un des grands enjeux réside dans la capacité à rendre la production agricole plus résiliente. Ici, la stratégie pourrait s'articuler autour de 3 grands piliers :
- l'agriculture de précision et l'amélioration génétique
- la conservation de l'eau et des sols
- la diversification
Enfin, sur la question de l'adaptation variétale des grandes cultures au changement climatique, la recherche avance avec :
- d'un côté, la multiplication de projets collaboratifs public-privés
- de l'autre, le développement d'infrastructures pour le phénotypage haut-débit
L'agriculture responsable face au climat : comment parvenir à la neutralité carbone ?
L'agriculture est forcément l'un des secteurs les plus sensibles au dérèglement climatique. A l'inverse, elle est également souvent pointée du doigt pour sa responsabilité dans ce processus. Le mauvais bilan carbone du secteur figure au premier rang des reproches qui lui sont adressés. Avec un peu plus de 15% des émissions en France, il est loin d'être le seul responsable – les transports figurant toujours nettement au premier rang – mais il a ici un terrain sur lequel agir. Un plan d'action comme Life Beef Carbon, lancé par la filière bovine, montre d'ailleurs qu'il existe d'ores et déjà des initiatives intéressantes en la matière.
L'agriculture fait donc partie de l'équation de la lutte contre le changement climatique. Comment les agriculteurs français peuvent-ils réduire leurs émissions de gaz à effet de serre ? L'INRA propose une feuille de route avec 4 grandes mesures à appliquer :
- Diminuer les apports de fertilisants minéraux azotés
Les agriculteurs doivent utiliser de manière plus pertinente ces engrais, tout en valorisant davantage les ressources organiques. L'accroissement de la part de légumineuses en grande culture et dans les prairies temporaires concourent également à la réalisation de cet objectif de réduction de N2O.
- Stocker du carbone dans les sols et la biomasse
Par le développement de techniques culturales sans labour mais aussi par l'introduction de cultures intermédiaires, cultures intercalaires et de bandes enherbées dans les systèmes de culture. Miser sur l'agroforesterie et optimiser la gestion des prairies sont également des voies à explorer.
- Modifier la ration des animaux
Il est possible de substituer des glucides par des lipides insaturés. L'utilisation d'un additif dans les rations permet également de réduire la production de méthane entérique. Quant à la réduction des apports protéiques dans les rations, elle a pour effet de limiter les teneurs en azote des effluents et les émissions de N2O.
- Valoriser les effluents pour produire de l'énergie, réduire la consommation
Le développement de la méthanisation et l'installation de torchères auront pour effet de réduire les émissions de méthane liées au stockage des effluents d'élevage. Par ailleurs, il semble important de trouver des solutions pour réduire, sur l'exploitation, la consommation d'énergie fossile des bâtiments et équipements.
Outre ce plan de bataille visant à réduire les émissions de gaz à effet de serre, les agriculteurs devront aussi se pencher sur les questions du recyclage ou des produits bio. L'objectif ultime consiste à élaborer une stratégie globale. L'avenir du secteur passera inévitablement par la mise en place de systèmes neutres en carbone et résilients face au changement climatique. Face à ce défi qui concerne l'humanité entière, l'agriculture a indéniablement un rôle prépondérant à jouer. Les efforts fournis récemment tendent à prouver qu'elle a bien identifié les enjeux et se trouve actuellement dans la bonne voie.