Au creux d’un paysage vallonné, entre Villeneuve-sur-Lot et Bergerac, le petit village de Sophie respire le calme. Une seule rue le traverse et on y trouve pour tout commerçant une coiffeuse et un seul artisan, un maçon. Le premier médecin traitant est à 11 kilomètres. En 2020, lorsqu’on lui a détecté un carcinome à l’endomètre, elle avait 40 ans. Ses enfants étaient déjà grands et autonomes et avec son mari, associés à un autre couple, elle cultivait la vigne et les pruniers. Ce diagnostic a bouleversé sa vie.
« Cela faisait plusieurs années que je souffrais de problèmes gynécologiques. Ma gynécologue les imputait à une perforation de la trompe, liée à ma contraception par un implant Essure. Je suis finalement allée voir une autre gynécologue, qui m’a proposé une hystérectomie en me disant que je pourrais ensuite retrouver une vie normale. Mais un mois après l’intervention, l’analyse post opératoire révélait la présence de cellules cancéreuses. J’ai immédiatement été adressée à l’Institut Bergonié à Bordeaux, qui m’a prise en charge pour six cures de chimiothérapie, espacées de trois semaines, suivies de 25 séances quotidiennes de rayons.
Aller à Bordeaux depuis chez nous est assez compliqué, même en taxi. Il faut compter 1h15 de route…sans les bouchons. Heureusement, les séances quotidiennes de radiothérapie ont coïncidé avec le confinement : ça roulait très bien ! Les effets secondaires de l’opération et ceux surtout de la chimiothérapie qui a suivi, ont été très compliqués. On m’a bien conseillée des soins de support à Bergonié mais ils n’étaient pas forcément accessibles les jours où je me trouvais à Bordeaux. Et dans ma campagne, il n’y a rien. Le Covid a eu au moins un avantage : certains ateliers comme ceux d’onCOGITE, qui aident les patients souffrant de troubles cognitifs post-chimio, ont basculé en visioconférence.
Pour trouver des informations, c’est aussi un peu le désert. J’ai contacté la MSA (Mutualité Sociale Agricole) pour savoir à quoi j’avais droit comme aides, notamment une aide-ménagère.
Pour ce qui est du travail, s’arrêter est difficile quand on est agriculteur-exploitant. Les indemnités journalières ne sont pas très élevées*. Et même si les travaux sont saisonniers, l’exploitation ne s’arrête pas. L’hiver, il faut tailler la vigne. Nous ne le faisons pas à la machine. Ce n’est pas forcément très physique, mais cela implique de marcher, beaucoup, avec un sac à dos pour transporter la batterie du sécateur électrique. La récolte du raisin en fin d’été est mécanisée mais celle des pruneaux, non. Et comme on les cuit à la maison, du 15 août au 15 septembre, le tout nous occupe 7 jours/ 7, de 6h30 à 21 heures.
Il existe bien un service de remplacement. Il y a quelques années, après des soucis cardiaques, mon époux avait décidé d’y adhérer moyennant 20 euros/an. Mais le souci c’est de trouver des remplaçants or il n’y en a pas toujours à disposition. Il faut aussi savoir tailler, conduire le tracteur... Quant à se faire remplacer à plein temps, c’est impossible financièrement. Le service ne couvre qu’un certain nombre d’heures. Donc on a utilisé toutes celles qu’ils nous proposaient et mes associés ont assuré le reste de ma part de travail.
Aujourd’hui, je n’ai plus de traitements, mais ma vie n’a pas repris son cours d’avant. J’habite à 50 mètres des vignes et des vergers. Seulement le terrain est plein de trous, de bosses et marcher m’est devenu difficile. Même avec des bâtons.
Reprendre ma place ? Impossible. Nous avons donc décidé avec mes associés que je devais démissionner. Ils se simplifieront la tâche en n’agrandissant pas l’exploitation et en faisant appel à une entreprise locale pour semer et traiter. N’étant plus agricultrice, vers quoi me tourner ? Pour organiser ma reconversion, je me suis faite aider par Cap Emploi et j’ai déposé des CV à droite et à gauche. Il ne faut vraiment pas hésiter à aller taper à toutes les portes !
Aujourd’hui j’ai complètement changé de métier. Après avoir décroché un CDD de 6 mois comme hôtesse de caisse dans un supermarché à 25 km de la maison, j’ai été prise en CDI ! ».
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*21, 47 €/ jour, puis 28,63 € jour au delà du 29e jour d’arrêt maladie, pendant trois ans maximum