Le gel de printemps a rappelé en avril 2021 qu’il pouvait causer d’importants dégâts en France. En anticipant et en affinant sa connaissance des techniques, il est toutefois possible de limiter son impact. Nos experts vous expliquent tout ce qu’il faut savoir sur les gelées printanières, leur impact et les moyens qui peuvent être déployés pour lutter contre ce phénomène dévastateur.
Qu'est ce que le gel de printemps ?
Les bases
Les gelées printanières sont des événements de gel survenant après la germination et le débourrement des plantes herbacées et ligneuses. Ces gelées tardives peuvent être dévastatrices. Par exemple, pendant l’hiver, les vignes sont en dormance. Elles sont résistantes au gel et peuvent facilement survivre à des températures allant jusqu’à -15 °C. Cependant, la situation change radicalement une fois que les bourgeons développent leurs premières pousses vertes.
Quelques minutes de froid critique suffisent pour potentiellement détruire une récolte entière. Certaines plantes peuvent récupérer, mais pas les vignes. Les viticulteurs des zones sujettes au gel ont appris à contrer le phénomène mais ils doivent savoir à quel type de gel ils ont affaire.
Gel d'advection et gel par rayonnement
Nous connaissons tous le gel par advection, qui se produit lorsque les températures descendent sous le point de congélation en hiver. Le gel par rayonnement, cependant, peut se produire par nuit claire lorsque les gelées d’advection sont passées depuis longtemps.
L’air froid, plus lourd que l’air chaud qui monte, « s’écoule » vers le bas comme de l’eau. Le sol, quant à lui, dégage de l’air chaud. Lors des nuits froides, en particulier celles sans couverture nuageuse, cette chaleur peut augmenter à mesure que l’air froid pousse vers le bas, ce qui crée une couche dite d’inversion. Les parties inférieures des cultures peuvent ainsi devenir de dangereuses poches de gel. Les premières heures du matin sont les plus critiques, car les températures peuvent descendre suffisamment bas pour geler les nouvelles pousses.
L'impact du gel de printemps
Les gelées printanières ont un impact écologique et économique important sur l’agriculture et la foresterie dans les régions tempérées et boréales du monde.
Les dommages causés par le gel de printemps affectent nettement la croissance, la santé, la capacité concurrentielle et les limites de distribution des plantes et causent plus de pertes économiques à l’agriculture que tout autre aléa lié au climat.
En avril 2021, le gel et les températures glaciales ont causé de graves dommages aux cultures, notamment les vignes et les arbres fruitiers, les colzas, les pommes de terre et les betteraves à sucre dans toute l’Europe. En France, environ 80% des régions viticoles et fruitières ont été touchées. Le fardeau de cette catastrophe, qui menace les moyens de subsistance et la sécurité alimentaire, est aggravé pour les producteurs qui souffrent déjà de l’impact de la COVID-19.
Les événements de gel de printemps peuvent être économiquement coûteux : en 2017, un seul événement à travers l’Europe a entraîné environ 3,3 milliards d’euros de pertes économiques, avec seulement 18% des cultures assurées. En 2021, le gouvernement français a déclaré une « catastrophe agricole » et promis 1 milliard d’euros de mesures d’aide pour les viticulteurs et fruiticulteurs (Plan Gel).
Ces événements redoutables peuvent également avoir d’autres implications pour la sécurité alimentaire, la productivité des plantes et les interactions écologiques. Par exemple, la floraison et le débourrement des espèces de fleurs sauvages herbacées vivaces peuvent être affectés par le gel de printemps, qui à leur tour ont un impact sur les pollinisateurs et les herbivores.
Comment lutter contre le gel de printemps ?
Stratégies de lutte directe contre le gel
En 2021, par crainte de pertes de récoltes et de l’impact socio-économique qui en découle, de nombreux viticulteurs et fruiticulteurs français ont adopté des stratégies réactives pour lutter contre le gel de printemps. Ces stratégies consistent notamment en l’utilisation d’asperseurs, d’éoliennes, d’hélicoptères et de chauffage aux combustibles solides et liquides.
Asperger les vignes d’eau : la technique d’aspersion est la plus efficace et elle donne aussi naissance à des paysage étonnants. L’objectif : protéger les bourgeons avec une fine couche de glace. C’est le principe de l’igloo, dans lequel la température reste positive alors qu’il peut faire très froid à l’extérieur. Le système d’arrosage de l’eau est déclenché par une sonde lorsque la température descend en dessous de +1 °C. Lorsqu’elle gèle, l’eau pulvérisée sur les vignes forme un cocon de glace et libère des calories qui protègent du froid le bourgeon à l’intérieur. Il est nécessaire de maintenir un arrosage continu, jusqu’à ce que la température dépasse +3 °C. Cette technique est particulièrement onéreuse : entre 8 000 et 140 000 €/ha.
Réchauffer l’air à l’aide brûlots : cette technique est la deuxième plus efficace après l’aspersion d’eau. Les brûlots sont placés dans le vignoble, au milieu des rangs. Ils sont allumés pendant la nuit avant que la température ne commence à baisser. Le but est de réchauffer l’atmosphère (+2 à +3 °C) pour éviter que les bourgeons ne gèlent. Il faut minimum 200 brûlots par hectare et plus il fait froid, plus il en faut. Ils nécessitent une attention constante et sont éteints dès que les températures dépassent 0 °C, après le lever du soleil. Cette solution antigel requiert beaucoup de personnel et de main d’œuvre. Elle reste également l’une des plus onéreuse : jusqu’à 2 500 à 3 000 € par hectare, selon le nombre de brûlots utilisés.
Créer un écran de fumée avec des feux de paille : l’utilisation de bottes de paille, de vieilles vignes arrachées ou de vieux tuteurs, est la solution la plus rustique et la plus fastidieuse à laquelle recourir. Les bottes de pailles sont déposées autour des parcelles à protéger. Ici, on ne recherche pas la production de chaleur, mais de fumée, qui remplacera la couverture nuageuse. Les nuages préviennent les dommages en bloquant les rayons du soleil lorsque le ce dernier se lève : il s’agit du moment le plus critique pour les bourgeons, lorsque le froid, combiné à la lumière du soleil, brûle les bourgeons. Les feux de paille sont allumés juste avant le début du lever du soleil.
Utiliser des tours antigel et des éoliennes : elles sont utilisées pour brasser l’air froid qui descend près du sol et l’air plus chaud qui monte. Le mélange des deux permet d’élever les températures et d’éviter le gel. Cela nécessite donc que les températures globales ne soient pas trop froides, sinon, il n’y a que l’air froid qui est brassé. Ces dispositifs sont souvent couplés aux feux de paille et aux brûlots. En revanche, certaines éoliennes performantes sont équipées d’un système de chauffage intégré : en dessous d’une certaine température, un capteur déclenche le système de chauffage, la chaleur produite au pied de la tour monte et est dispersée par les pales de l’éolienne. Ces dispositifs constituent des investissements lourds pour les vignerons : environ 40 000 € en moyenne, et pas moins de 25 000 € pour une éolienne mobile sans système de chauffage. Cependant, placés dans les parcelles régulièrement à risques, ils peuvent couvrir jusqu’à 5 hectares.
Déployer des hélicoptères : comme pour les éoliennes, les pales des hélicoptères brassent la couche d’air froid au sol et les masses plus chaudes qui se trouvent au-dessus. Le brassage aide à augmenter la température du sol et à prévenir le gel. Une solution très décriée par l’opinion publique, mais qui présente des avantages certains : les frais sont partagés entre les agriculteurs qui peuvent couvrir de grandes surfaces. Le coût de l’hélicoptère est estimé à 250 € par hectare, ce qui est beaucoup moins cher que l’installation de chauffages.
Stratégies de lutte indirecte contre le gel
Les techniques précédentes représentent un surcoût de production considérable pour les agriculteurs touchés. En outre, ces moyens peuvent être gênants pour les riverains (bruit des hélicoptères, fumées…) et ont le potentiel d’aggraver encore les problèmes environnementaux au lieu de fournir des adaptations durables. Il est donc important d’envisager d’autres solutions.
Les stratégies de lutte indirecte à moyen terme comprennent la sélection de régions de culture plus favorables, le déplacement des dates de semis et des rotations de cultures (pour les cultures annuelles) et le passage à des espèces ou des cultivars résistants. De même, les stratégies d’adaptation à long terme incluent la sélection de variétés à débourrement tardif (pour les cultures ligneuses) et celles mieux adaptées aux chocs thermiques.
Les stratégies de sélection actuelles pour les cultures résilientes au climat sont davantage axées sur la sélection de cultures pour la chaleur ou la sécheresse plutôt que sur la tolérance au gel. Pourtant, cette dernière réduirait non seulement les dommages directs du gel, mais permettrait également de semer les cultures plus tôt, atténuant ainsi les risques de retard.
Les semis précoces représentent une stratégie d’adaptation efficiente face au changement climatique pour les cultures annuelles dans nos régions tempérées pour échapper à la sécheresse estivale et aux stress thermique, qui représentent les facteurs limitant le rendement les plus importants pour les principales cultures arables.
Pour conclure sur le gel de printemps
Les dommages continus dus au gel de printemps représentent une catastrophe sans précédent pour le secteur agricole, avec des impacts écologiques et économiques substantiels pour la société dans son ensemble. Pour limiter son impact, nous avons vu quelles stratégies peuvent être mises en place. Toutefois, face à l’urgence du changement climatique, il est crucial que la science et la politique s’associent pour résoudre le problème du gel printanier. Cela peut se faire de deux manières : la sensibilisation pour favoriser de meilleures pratiques de gestion affectant les stratégies de gestion à court terme du gel, et l’évaluation des risques spécifiques à la région de la fréquence et de la gravité du phénomène afin d’éclairer la prise de décision en matière de gestion des terres, de foresterie, d’agriculture et de politique d’assurance.